Le langage des dents, Psychanalyse !!!
Le corps a son langage. Il traduit les blessures de l'âme par les malaises et maladies qui l'affectent. Et nos dents ? Sont-elles des corps inertes, de simples fragments d'émail et de dentine implantés dans nos mâchoires ?
Qu'elles puissent subir les contrecoups de nos affects ou traduire nos stress ou difficultés intérieures peut surprendre. Et pourtant, outre mastiquer, les dents permettent de parler, de verbaliser. La parole est une fonction spécifiquement humaine. Nos dents y sont étroitement associées (le bébé et la personne édentée ne peuvent produire que des sons inarticulés). Chacun sait le poids des mots et a pu éprouver leur pouvoir de guérison. Parler soulage et pas seulement chez les psy. Rien d'étonnant donc que les mots qui n'ont pu être dits s'expriment d'une autre manière, à travers les « maux »... de dents.
La bouche, zone érogène
La bouche est un lieu privilégié de somatisations, d'autant plus qu'elle est intimement liée aux premières expériences de la vie. Cette particularité lui confère une charge symbolique et émotionnelle forte. Elle est la zone sensorielle la plus développée à la naissance et elle participe de manière précoce à la formation de la personnalité.
Le stade oral que décrit la psychanalyse s'enracine dans le corps : la muqueuse buccale du nouveau-né est tapissée par les bourgeons du goût (bourgeons qui involuent avec l'âge et ne subsistent chez l'adulte que sur la langue). Ainsi la sphère orale est-elle la zone la plus vivante chez l'enfant. Son développement est centré sur elle. Déjà in utero, le bébé perçoit le goût du liquide amniotique. Puis avec l'allaitement, la bouche devient le siège des premières expériences de plaisir. La bouche édentée du nouveau-né traduit la relation fusionnelle avec sa mère qui s'établit de manière privilégiée au cours de l'allaitement.
Vers l'autonomie
L'éruption des premières dents de lait met fin à la relation empathique entre la maman et le bébé. Entre elle et lui s'interposent des organes durs et tranchants. C'est la fin de l'allaitement... et le moment des premières souffrances liées à la poussée des dents. L'enfant sort de la fusion, il devient plus autonome. Il commence à parler, à marcher, à mordre. À travers la mastication, il se confronte au dur, s'approprie de manière plus active le monde qui l'entoure. Les dents matérialisent ainsi la séparation d'avec la mère et témoignent de l'individualité de l'enfant qui s'ébauche. Elles sont une barrière tranchante érigée entre l'extérieur et l'intérieur. La conscience d'être distinct s'accroît à mesure que les dents sortent. Vers l'âge de trois ans, toutes les dents de lait sont en place : l'enfant passe par la fameuse crise du non, phase aiguë d'affirmation de soi. Il a conscience d'être un je séparé. Le fait que la denture de lait soit complète le symbolise. Ainsi la bouche traduit-elle fidèlement les étapes traversées par l'enfant : fusion (avant que les dents ne sortent), séparation (poussée des dents de lait), affirmation (denture de lait complète). Par leur mise en place, les dents décrivent l'évolution qui mène du nouveau-né totalement dépendant et vulnérable vers l'état d'individu séparé de la maman et relativement autonome. Tout accroc dans ce parcours a des répercussions sur nos dents.
Un miroir essentiel
La bouche nous connecte avec notre passé le plus archaïque. En rapport étroit avec l'inconscient, elle représente la porte d'accès à nos profondeurs. Nos dents, implantées entre ombre et lumière à la frontière entre extérieur et intérieur, sont le miroir privilégié de notre vécu. Echo lointain des premières poussées dentaires, les maux de dents ne se manifestent pas au hasard mais traduisent les souffrances de l'âme, liées aux non-dits ou aux émotions non exprimées. Ainsi, la carie qui ronge nos dents représente une forme d'autodestruction inconsciente. Contrairement à la croyance répandue, le sucre n'est pas l'unique responsable des caries. Dégradés par les bactéries, les sucres produisent des acides qui déminéralisent l'émail. Pourtant, il existe un mécanisme de défense naturel qui permet à toute dent vivante de neutraliser les acides et de se reminéraliser. Des expériences scientifiques ont montré qu'un stress nerveux prolongé annule l'immunité naturelle de la dent. Dès que la dent n'est plus protégée, le phénomène de déminéralisation s'enclenche et conduit à l'apparition d'une carie. Ce mécanisme biologique montre qu'il existe un lien direct entre l'état de nos dents et notre vécu. Maladie psychosomatique par excellence, la carie est le reflet direct de nos états d'âme et de nos difficultés existentielles. Elle traduit un refus de la vie : refus d'exister, de se manifester, en écho à une souffrance passée. En apparence anodine, la carie cache un petit drame : Je refuse de mordre, de me défendre, de me manifester par la parole, mais aussi de croquer la vie à pleines dents.
La carie traduit le désir inconscient de se dissoudre et de disparaître. Chez l'enfant, elle exprime le désir d'abolir la barrière qui le sépare de maman pour retrouver l'état de fusion lié au stade oral. Ainsi Magali, quatre ans, développe des caries dans les mois qui suivent la naissance de son petit frère : la fillette exprime à sa manière la peur d'être abandonnée et de perdre l'amour de sa mère. Chez l'adulte, la carie traduit le refus d'exprimer une partie de soi, un don ou une capacité, en réaction à un évènement stressant ou marquant. La dent atteinte indique quelle facette de soi est refusée. Par exemple, Jean, représentant dynamique, développe des caries sur ses canines quelques mois après avoir perdu son travail. L'atteinte des canines, liées à la force intérieure, montre qu'il se sent dans l'impuissance à la suite de son licenciement. Il se sent faible et démuni, ne sachant plus où aller : J'ai perdu tout pouvoir, je ne contrôle plus ma vie…
Toute atteinte dentaire représente à sa manière une forme d'autodestruction, plus ou moins rapide, fulgurante ou sournoise. L'abcès qui se forme à bas bruit dans la mâchoire représente un reniement insidieux, une négation de soi profondément refoulée et longuement ressassée. La fracture (faisant suite à un choc ou un accident) traduit l'anéantissement brutal d'une partie de soi qui vole en éclat. À l'âge de quatorze ans, Sandrine est brusquement éconduite par son amoureux. Quelques jours plus tard, elle fait une chute à vélo et se fracture les quatre dents de devant. La destruction du sourire de Sandrine traduit sa souffrance d'avoir été rejetée: Tu me repousses, je n'existe plus… Des années plus tard, le sourire fracturé de Sandrine continue de gâcher sa vie affective. Le dentier qui remplace les dents cassées et dont elle a honte l'empêche de se livrer. La peur que l'autre, dégoûté, ne la repousse et s'en aille, la conduit à casser toutes ses histoires d'amour. En réalité, le dentier focalise la fracture intérieure non guérie de Sandrine. La jeune femme casse ses relations parce qu'elle a été cassée et ne veut pas prendre le risque de l'être à nouveau. Le dentier est à la fois le symbole de la fracture subie et le repoussoir qui prévient le risque de souffrance lié à un nouveau rejet.
Les dents sont le miroir de l'âme. Abcès, fracture, caries et autres atteintes cristallisent nos souffrances et les traduisent avec une précision surprenante. Les dents expriment le langage de l'inconscient dont elles dressent une cartographie fidèle. Émotions refoulées, deuils non faits, carences affectives, non-dits, se lisent dans la bouche. Observer ses dents permet de porter un regard inédit sur son histoire passée et présente. Découvrir leur langage, c'est comprendre que le mal de dent est en réalité le mal du dedans. C'est faire un pas essentiel vers la guérison du corps et de l'esprit.
Docteur Estelle Vereeck*
*Pour en savoir plus, lire :
- « Dictionnaire du langage de vos dents »,
Editions Luigi Castelli.
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